Convoi exceptionnel. Ft Ylva Engberg la menace

L’air caressant sa peau, la beauté d’une nature luxuriante dont l’étendue commençait tout juste à se présenter aux plus avisés et imaginatifs de ses contemplateurs, mais toujours ce soleil agressif qui la forçait malgré elle à garder profil bas. Tout comme la compagnie d’un seul et unique humain doté du fruit de sa vie, protégé de façon plutôt clinquante au regard d’une femme ignorant la valeur du trésor que renfermait ce chariot. Chariot qu’elle se serait bien proposé de pousser avec son missionnaire du jour, si les rumeurs concernant l’avarice de ce dernier n’étaient pas arrivées aux oreilles de la chasseuse. Comment un humain avare réagirait si une louve répugnante posait ses sales pattes sur sa richesse ? Tenter l’expérience ne l’intéressait pas. Alors, à défaut de pousser du bois, l’une de ses mains reposait sur le manche de son arme de poing, tandis qu’elle s’était irrémédiablement murée dans ce silence qui lui était propre.

Pourquoi fallut-il que cette mission lui incombe à elle ? Même sans preuves pour l’établir, parmi les siens, Ylva accordait bien trop d’importance à la hiérarchie de son groupe pour contester une directive venant de James. Mais qu’avait pu pousser ce dernier à l’affecter, seule qui plus est, à l’escorte d’un banal alchimiste et de sa pingrerie ? Devait-elle le prendre comme un signe de confiance ou bien comme une corvée refilée à la première larbin venue ? Dans l’absolu, tout cela ne changeait rien et l’égo de la chasseuse fit qu’elle préféra le voir ainsi : sa présence était nécessaire pour que le frêle marchand ne se fasse pas prendre pour cible par des Monstera, ou bien par d’autres humains tout aussi redoutables que les ombres affaiblies.

Pourtant, si la Hunter s’accoutumait du silence, l’humain lui finit par s’en lasser, laissant finalement échapper un soupçon d’intérêt pour la créature qui l’accompagnait. Celle-ci, par le plissement de son regard qui vint un temps se figer sur son interlocuteur, ne cacha en rien sa surprise. Voilà qu’un humain lui adressait la parole pour une raison autre qu’une parole vindicative ou bien une requête hypocrite ?


Sans même qu’elle ne s’en rende compte, son regard pesait lourdement sur Gesmas. Alors qu’elle n’avait aucune raison de lui en vouloir particulièrement, l’insistance avec laquelle elle le fixait laissait facilement croire qu’elle le jugeait de façon abjecte, comme la dernière des raclures que l’on voudrait tuer de ses mains. Et pourtant, aussi glaciale que l’hiver l’ayant vu naître, le feu de la rancoeur envers l’alchimiste était tout bonnement inexistant dans son esprit. Esprit occulté un temps par l’émergence d’un passé qu’elle ne souhaitait pas réellement se remémorer, mais que la demande du marchand ramena de force à la surface. Tout ces souvenirs déplaisants n’étaient sans doute pas étrangers à la dureté du regard de la chasseuse.


Sa vie à Polairis se résumait surtout à deux choses : survie et mensonges. La survie avait faite grandir une fleur dont les racines s’étaient vues arrachées par le mensonge avant que le vent ne la fasse dériver sur une terre ou elle peinait à présent à retrouver un terreau propice. L’intelligence, voilà ce qui lui manquait pour trouver sa place dans une société ou les activités ne se résumaient pas à tuer pour se nourrir, ou bien pour ne pas l’être.


Elle aurait pu, sans l’ombre d’une gêne, retomber dans le silence le plus complet, jusqu’à oublier la présence de son interlocuteur, mais ce qu’il transportait attirait tout de même son attention. Outre ce qu’il contenait, ce qui verrouillait son accès était présent en si grand nombre autour du chariot que la louve était incapable de compter les verrous. Ainsi, elle ne pouvait que supposer la quantité d’or qu’il contenait.

A défaut d’une réponse simpliste, qui aurait été plus que suffisante, l’humain qu’elle escortait préféra se lancer dans un véritable exposé philosophique -du  moins la chasseuse le percevait ainsi- de la valeur que possédait ce métal et de la maîtrise requise pour créer cette même valeur. A défaut de réussir à adopter une longueur d’ondes semblable à celle du marchand, la louve ne retint qu’une seule chose : l’on pouvait choisir d’accorder ou non de la valeur à ce matériau selon sa répartition. Une valeur volatile sur laquelle reposait un système aussi organisé qu’une société humaine, comment diable cela pouvait-il ne pas être bancal ? Quel intérêt y avait-il alors à amasser des choses qui pouvaient se voir déclarées caduques du jour au lendemain ? Et surtout, comment pouvait-on en tirer du pouvoir ? Elle aurait encore pu se questionner des heures durant sur une richesse dont on avait voulu lui faire entrevoir l’utilité, mais le mal de tête que lui conféra cette explication coupa court à sa réflexion.


Un souffle railleur lui échappa, tandis qu’elle cessait enfin de sonder l’insondable véhicule cadenassé pour se concentrer sur la route qu’ils devaient encore parcourir. En un sens, elle avait flatté son interlocuteur, le confortant sans doute dans son opinion, qui ne devait pas différer de la majorité, sur les chasseurs hybrides. La louve était de ceux qui, rejoignant les humains dans la façon qu’ils avaient d’évaluer les Hunters, n’y voyait pourtant rien de péjoratif. Certains voyaient leur vie rythmée par un combat affûtant tant leur corps que leur esprit tandis que d’autres se créaient de faux problèmes en cherchant à vivre de façon beaucoup trop reconnue, trop opulente. Et pour autant que l’alchimiste semble désormais faire partie de ces derniers, ses dires témoignaient du fait que ce n’aie pas toujours été le cas. Peut-être idolâtrait-il l’or car il le voyait comme un bouclier l’empêchant de retomber dans une situation qu’il avait tout fait pour fuir.


Possiblement perçue comme une pique dissimulée, sa dernière tirade n’était pourtant qu’un constat dénué d’amertume. L’idéal d’une vie confortable n’avait jamais effleuré cet esprit façonné par les vents du Nord, probablement comme la hantise de la pauvreté rongeait continuellement l’alchimiste. Des parcours à priori comparables et pourtant des êtres que tout oppose… étais-ce ce qui avait motivé son chef de meute à la mettre dans les pattes de cet humain ? Non, sans doute que son cerveau faible et endolori s’aventurait dans les sombres méandres du discernement, art ô combien impénétrable pour la chasseuse.


En vérité, James avait certainement parlé du labeur que représentait un simple dialogue avec la louve solitaire. Il devenait dès lors inconcevable de penser qu’on puisse lui arracher la moindre information. Toutefois, comme pouvait le laisser penser l’esquisse de rictus qui anima un temps ses traits, Ylva était curieuse de voir si ce marchand voyait son espèce comme la majorité ou non.